Un lieu en marge de la ville : exécutions, prostitution et vagabondage

Occupation civile et militaire

Aujourd’hui lieu de rassemblement et de commémoration, de fête comme de détente, les plaines d’Abraham possèdent un côté plus sombre à leur histoire. Plusieurs y ont trouvé la mort, certains glorieusement comme les militaires des batailles de 1759 et de 1760 tombés au combat, mais d’autres de façon beaucoup plus infâme. Les Plaines ont en effet été le lieu d’exécution de plusieurs condamnés. De même, ce site en marge de la ville s’avérait être un lieu de prédilection pour mener des activités immorales, voire illicites, comme la prostitution. 

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Exécutions 

De 1763 à 1810, une dizaine de condamnés pour meurtre ou pour vol ont été pendus sur les hauteurs de Québec, généralement sur les Buttes-à-Nepveu, secteur où se trouvent actuellement les tours Martello et le jardin Jeanne-d’Arc. Une des exécutions les plus célèbres est certainement celle de Marie-Josephte Corriveau, mieux connue sous le nom de « la Corriveau », reconnue coupable du meurtre de son mari. Elle est pendue sur les Buttes-à-Nepveu le 18 avril 1763. Ses restes sont exposés pendant une quarantaine de jours dans une cage à la Pointe Lévy où les passants venant de la Côte-du-Sud peuvent les apercevoir. Cette histoire a inspiré de nombreuses légendes depuis plus de deux siècles. 

Le 7 juillet 1797, la foule est nombreuse à assister à l’exécution de David McLane, reconnu coupable de haute trahison. La potence est érigée « sur les Glacis, en dehors des murs de la ville ». McLane est condamné à : 

Heureusement pour le condamné, il semble qu’on lui ait coupé la tête avant de lui arracher les entrailles. D’autres sont encore plus chanceux et sont graciés au pied de la potence, comme Alexander Webb le 15 juin 1784. 

Entre 1867 et 1937, plus d’une dizaine de condamnés sont pendus à la prison de Québec sur les Plaines. Environ 3000 personnes se rassemblent le 10 janvier 1879 pour assister à la première exécution, celle de Michael Farrell, condamné pour meurtre. L’échafaud est dressé dans la cour et le spectacle est réservé à un petit nombre de témoins : journalistes, étudiants en médecine, familles, etc. La foule doit se masser autour de la prison pour tenter d’apercevoir la scène. Un pavillon noir est hissé à un mât lorsque la sentence est exécutée. 

La scène est similaire pour les exécutions suivantes. Une deuxième pendaison a lieu en 1890 : celle de Nathaniel Randolph Dubois, condamné pour un quadruple meurtre. Le 6 juillet 1900, une troisième émeut les spectateurs. Cette fois-ci, on a placardé la potence sur deux côtés pour empêcher les curieux rassemblés aux alentours d’apercevoir le pendu. Ceux qui assistent à la pendaison de David Dubé condamné pour meurtre sont atterrés de voir que celui-ci est apparemment mal pendu et qu’il agonise pendant 11 minutes. La dernière exécution à la prison de Québec a lieu le 9 juillet 1937. 

Prostitution et vagabondage 

Comme d’autres parcs urbains dans le monde, les Plaines ne servent pas que de lieu de détente pour les gens de la haute société. Durant la plus grande partie du 19e siècle, des marginaux de toutes sortes se réfugient parfois en grand nombre sur ces terrains vagues. En 1801, on évalue à 500 ou 600 le nombre de prostituées en ville. En 1833, on se plaint au gouverneur général que des ivrognes et des « femmes de mauvaise vie » s’y adonnent à la débauche « la plus effrénée » . Au milieu du 19e siècle, on trouve plusieurs bordels aux abords des plaines d’Abraham, près de l’endroit où sera construite la prison en 1867. Cette année-là, l’hôtel Wolfe est réputé être une maison de prostitution. Dans le seul quartier Saint-Jean-Baptiste, voisin des Plaines, on en trouve une quinzaine. Les matelots y affluent, après avoir traversé les Plaines par les sentiers et les escaliers. 

Les principaux clients des filles de joie, des tavernes et des maisons de jeux sont les nombreux soldats et matelots en poste à Québec. Les maladies vénériennes sont responsables d’un tiers des décès de l’armée anglaise au milieu du 19e siècle. Après le déclin du port au milieu du siècle et le départ de la garnison britannique en 1871, les prostituées sont plus proactives dans leur sollicitation, tellement que les militaires sont parfois dérangés durant leurs manœuvres sur l’esplanade. 

Les plaines d’Abraham sont aussi le rendez-vous des malfrats de Québec. Déjà en 1806, les Ursulines se plaignent des délinquants qui causent des dommages à leur propriété. Dans les années 1830, les résidants protestent à quelques reprises contre des activités répréhensibles qui ont lieu sur les Plaines. En 1837, on considère que : 

Les plaines d’Abraham et les bois environnants, particulièrement celui de Carouge [Cap-Rouge], sont le rendez-vous ordinaire d’une classe [industrielle], qui trouve plus commode de ne point travailler et de vivre sur le bien commun; […] Tous les printemps, quand les prisons se vident, et que la navigation jette sur nos bords ses flots de populations diverses, ce troupeau infecté se répand dans les champs et se grossit chaque jour d’habitués de prisons, de matelots mécontents, d’aventuriers, de fénéants [sic] et de débauchés. 

Dans les années 1830, une bande de brigands, sous les ordres de Charles Chambers, sévit dans la ville de Québec. Elle se spécialise dans les vols de toutes sortes, du plus petit cambriolage au vol de billots dans les anses autour de la ville. En plus de se réfugier sur les plaines d’Abraham, la bande y trouve un lieu de recrutement privilégié. Reconnu coupable de vol en 1837, Charles Chambers est finalement déporté en Australie. 

Bien qu’avec moins de vigueur, ces débordements se poursuivent encore au 20e siècle, en dépit de l’organisation du service de police. Après la création du parc, l’ordre est maintenu sur les Plaines par la police municipale (jusqu’en 1948) et par la Commission des champs de batailles nationaux. En 1913, la Commission engage quatre constables spéciaux. Tout au long du 20e siècle, la plupart des méfaits sont en rapport avec la sécurité routière, mais un grand nombre d’interventions de la police sont encore en lien avec des conduites « immorales ». Par exemple, en 1942, 392 personnes sont expulsées pour ces raisons. Quelques années plus tard, en mai 1948, la Gendarmerie Royale du Canada dépêche cinq à six policiers pour maintenir l’ordre sur les Plaines. En 1953, 1159 couples ont été interpelés pour conduite « inappropriée » . Depuis, des efforts considérables ont été consentis pour faire des Plaines l’un des parcs les plus sécuritaires du pays. 

Sources : 

  • Donald Guay, «Culture, sports et divertissements, 1800-1900», dans Jacques Mathieu et Eugen Kedl dir., Les plaines d’Abraham: le culte de l’idéal, Sillery, Septentrion, 1993, p. 170. 

  • «Québec, mercredi 16 juillet», Gazette, 27 juillet 1797, p. 3. 

  • Cité par Donald Guay, «Culture, sports et divertissements, 1800-1900», p. 168. 

  • «Québec, mercredi 16 juillet», Gazette, 27 juillet 1797, p. 3. 

  • Donald Guay, «Culture, sports et divertissements, 1800-1900», p. 168. 

  • Lorraine Gadoury et Antonio Lechasseur, Les condamnés/es à la peine de mort au Canada, 1867-1976: un répertoire des dossiers individuels conservés dans le fonds du ministère de la Justice. Division des archives gouvernementales, Archives nationales du Canada. [1994]. 

  • John Hare, «La population de la ville de Québec, 1795-1805», Histoire sociale, vol 7, no. 23 (mai 1974):35. 

  • Donald Guay, «Culture, sports et divertissements, 1800-1900», p. 171. 

  • Donald Guay, «Culture, sports et divertissements, 1800-1900», p. 171. 

  • François Boulianne, La répression de la prostitution à Québec : discours, institutions et application, 1850-1870, Québec, Universtié Laval, [Mémoire de maîtrise à être déposé]. 

  • John Hare, Marc Lafrance et David-Thierry Ruddel, Histoire de la ville de Québec, Montréal, Boréal/Musée canadien des civilisations, 1987, p. 208. 

  • F.-R. Angers, Les révélations du Crimes ou Cambray et ses complices, Québec, Fréchette et cie, 1837, p. 30-31. 

  • F.R. Angers, Les révélations du Crimes,  p. 10. 

  • Archives de la Commission des champs de bataille nationaux, procès-verbaux du conseil d’administration du 5 novembre 1942. 

  • Archives de la Commission des champs de bataille nationaux, procès-verbaux du conseil d’administration procès-verbaux de 23 novembre 1953.